Docteur E. ROUAULT Médecin Aide-Major – Ambulance 4/17

Mon arrière-grand-père fut médecin sur le front durant le conflit de  14/18 , et je viens de terminer la transcription de sa correspondance de   guerre qu’il adressa à sa famille durant ses 31 mois de mobilisation   d’avril 1915 à mai 1917. Il s’agit d’un recueil d’environ 270 pages,  agrémenté de quelques photographies.

 

Mardi soir 7 septembre 1915

(feuille jaunie, demi-format. Ecriture claire et volontaire dont les couches se superposent sur deux niveaux à l’encre bleue-ardoise)

Il ne faut pas ma Louisette adorée te tracasser de moi. Je me porte comme jamais je ne me suis porté et je supporte comme à 20 ans cette vie de campagne en plein bois. Nous n’avons pas encore reçu d’obus boche sur notre bois ; il en est tombé à quelques centaines de mètres, mais nous sommes bien défilés. Ce serait bien la guigne d’être touchés. Le bombardement de l’ennemi hier ne m’a pas fait peur, je t’assure. J’ai été absolument maitre de mes nerfs. D’ailleurs si notre cantonnement était bombardé, nous avons des tranchées profondes creusées dans la terre dans lesquelles nous nous terrons. A côté de ma hutte j’ai un refuge-abri où couche mon ordonnance où je le rejoindrais si les marmites nous tombaient dessus. Je t’enverrai des photos de notre campement, de ma hutte ; c’est très pittoresque.

Là je me couche tout habillé. Evidement je n’enlève que mes chaussures : en guerre on ne se déshabille pas chaque jour.

Mille baisers ma Louisette.

Aux armées le 14 septembre 1915

(feuille de papier très fine, encre noire, écriture lisible)

Crac ! boum ! Voilà des obus qui passent au-dessus de nous tout près…

J’arrive des renseignements c’est une batterie à nous de nos braves 75 qui a pris position juste à côté et qui tire sur les boches par-dessus nous. Les coups faisaient tant de tapage et éclataient si près que je croyais que c’étaient les boches qui nous tiraient dessus. Encore un réveil matin de plus ! C’est formidable ma Louisette chérie ce qu’il y a d’artillerie accumulée. Je t’assure que les boches ne passeront jamais et que bientôt il recevront une formidable raclée.

Jeudi soir 16 septembre 1915

(encre noire et écriture très lisible sur une carte postale d’une photographie de Mourmelon-le-Grand)

Ma chère Louisette,

La journée d’aujourd’hui peut être marquée d’un caillou dans mon temps de campagne. Je me suis baigné dans une baignoire en vrai ! en vrai ! comme dirait mon Coco : depuis 3 mois bientôt que je ne m’étais pas complètement déshabillé. Les officiers des groupes d’artillerie de notre secteur peuvent aller se baigner à l’hôpital d’une petite ville pas bien éloignée.

Ce bain m’a fait grand bien je t’assure ma Louisette. Nous pouvons y aller 3 fois par semaine. Pas de lettre de toi aujourd’hui. Je vais très bien. Mille tendresses.

Aux armées, 1er novembre 1915

(demi-feuillet jauni, encre noire passée. La lettre est tachée sans doute par des gouttes de pluie…)

Ma bien chère Louise,

Je t’écris en ce soir triste de Toussaint d’une casemate de canon où j’ai installé mon bureau ; abri dont la large entrée n’est pas encore close. Heureusement que le vent souffle du Sud-Ouest et ne s’engouffre pas trop dans cette casemate.

Ce matin j’ai assisté à la messe dans un bourg voisin qui lui n’a pas trop souffert. La messe était dite par un prêtre soldat ; un aumônier militaire décoré de la croix de guerre nous a fait un magnifique sermon sur un sujet bien de circonstance : la mort. Un sous-lieutenant répondait la messe. Il n’y avait que des soldats dans l’assistance.

Lundi 22 janvier 1916 avant dîner

(deux cartes au format de la « correspondance des armées de la République » dont l’écriture est lisible, posée et tracée à l’encre noire. Les cartes ont légèrement jauni)

Je viens de toucher mon tabac et la République nous gâte : 7 cigares, 2 paquets de cigarettes et 1 paquet de tabac. Nous touchons notre tabac tous les 6 ou 7 jours je crois. Il est vrai que c’est une grande distraction pour nous de fumer. Nous menons une vie de vrais sauvages dans les bois ; c’est la vie primitive de l’homme des cavernes. On se fait à cette vie et puis nous avons de bons camarades ; après tout on peut dire que ce qu’il y a de meilleur parmi les Français est sur le front de 1ère ligne.

Aux armées le 11 avril 1916

(petit bleu d’une écriture serrée à l’encre noire, sur deux couches, peu d’espace et peu de retour à la ligne)

Un accident bien triste vient d’arriver tout à l’heure à une batterie d’artillerie qui est en position légèrement derrière nous ; une pièce de canon a éclaté pendant le tir tuant le servant et en blessant 3 autres assez peu grièvement heureusement. Je viens de voir le tué, un pauvre jeune homme de Lamballe, et les blessés. C’est le médecin auxiliaire qui m’a remplacé aussitôt à mon Groupe. Justement la semaine dernière un autre canon avait explosé à une autre batterie tuant un servant qui était l’instituteur de l’Hermitage. Enfin, c’est la guerre. Mille baisers ma Louisette chérie.

Lundi soir 8 mai 1916

(carte de correspondance des armées, écriture encre noire sur deux épaisseurs)

Tu sais l’eau de vie de cidre que j’ai emporté est effroyablement forte, c’est de l’alcool à 70 degrés au moins et elle a rendu malade notre capitaine. N’en donne jamais aux enfants surtout !

Mercredi 18 avril 1917

(petit bleu à l’écriture palie et presque illisible, à l’encre violette. Le papier fin est déchiré et le texte se superpose sur deux épaisseurs)

Que de larmes et d’émotions il faut retenir ma Louisette devant un tel carnage.

J’ai vu surtout hier et cette nuit de gros dégâts des lacerements par éclats d’obus ou de grenades et beaucoup de plaies des membres par balles de fusils et de mitrailleuses.

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